Prosopopées

15_12_06

André & Michel Decosterd, Nyloïd, 2013 – Michel de Broin, Bleed, 2009 –
Charbel-Joseph H. Boutros, My Answer to Ecology #2, 2011, Aurélien Bory, Sans Objet, 2015.

La Biennale Internationale des Arts Numériques Némo, initiée par Gilles Alvarez, vit actuellement son apogée avec l’exposition “Prosopopée” accueillie par le Centquatre dirigé par José-Manuel Goncalves. Là précisément où des objets, allant du minuscule au monumental, s’animent au travers d’une trentaine d’installations aux formes les plus diverses. Lors du vernissage, André et Michel Decosterd ont tenté de contrôler “Nyloïd”, une œuvre aux allures de sculpture cinétique et sonore qui se présente sous la forme d’un tripode. L’objet que relient de longues tiges est au centre de toutes les tensions, de toutes les attentions. Quand les artistes n’en contrôlent que partiellement les mouvements qui font son. Les trois forces en présence nous disent leur incapacité à s’accorder. Elles nous renvoient, possiblement, au trois blocs en guerres perpétuelles que décrit George Orwell en 1949 dans son roman “Nineteen Eighty-Four”.

Un étage en dessous, il y a un appartement où les objets sont littéralement livrés à eux-mêmes. Pour le meilleur comme pour le pire ! La perceuse habillement déposée par Michel de Broin saigne si l’on en croit le cartel qui la nomme : “Bleed”. Percée à de multiples reprises par la mèche même qu’elle enserre, elle n’est plus que fontaine. En s’automutilant, elle a converti sa valeur d’usage en valeur d’art. Désormais inutile en atelier, elle siège sur le socle qui participe grandement à la décontextualiser. Dans l’appartement fou, il y a aussi l’anti COP 21 absolu. Car l’installation “My Answer to Ecology #2” assemble un radiateur qui réchauffe l’intérieur d’un réfrigérateur dont la porte a été laissée grande ouverte par l’artiste Charbel-Joseph H. Boutros. Une œuvre, par conséquent, que l’on devrait interdire bien qu’elle illustre parfaitement les tensions internes qui nous animent. Quand notre désir de confort est aussi fort, ou presque, que notre volonté d’agir pour le climat. Quand l’habitat personnel, ou même l’habitacle, l’emporte sur la planète que tous nous habitons collectivement. Quand nous savons les efforts qu’il nous reste à fournir pour nous extraire des situations ubuesques que nos prédécesseurs ont su installer. Pour la survie des générations futures.

Enfin, il y a un robot dans l’atelier 4. Un robot que jamais le public ne verra véritablement car il est recouvert d’une membrane de plastique dont la noirceur rappelle nos sacs poubelles. Un robot que l’on devine pourtant aux sons que l’installation performative “Sans Objet” du chorégraphe Aurélien Bory émet. Elle partage, avec les autres pièces de l’exposition “Prosopopée”, une forme d’efficacité artistique car de ce presque rien, si l’on omet la perfection de la chorégraphie, renaissent tous les fantômes qui peuplent les vieilles demeures de nos rêves contemporains. Ils sont aussi majestueusement extravagants, que craintifs donc fuyants. Les adjectifs ne manquent pas aux spectateurs qui les qualifient. Car ce sont bien les spectateurs qui, actuellement au Centquatre plus qu’ailleurs, font œuvres de leurs commentaires lorsqu’ils personnifient les pièces qui leur sont au plus proches.

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