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ART BRUSSELS 2017
par Dominique Moulon [ Avril 2017 ]
Tous les ans, au mois d’avril, la ville de Bruxelles accueille les multiples acteurs du monde de l’art à l’occasion de sa foire comptant parmi les plus importantes à l’international. L’occasion, aussi, d’explorer ses centres d’art contemporains comme le Wiels ou Centrale ainsi que ses plateformes d’expositions à l’instar de Société entre autres agences artistiques, pour ne citer que White Circle.

clearFusion des singularités

Pulse Index

Rafael Lozano-Hemmer,
“Pulse Index”, 2010.
clearPour la deuxième année consécutive, Art Brussels a pris place dans le bâtiment Tour & Taxis, une ancienne maison des douanes. Là, précisément, où la galerie Suisse Art Bartschi & Cie présente une œuvre de l’artiste montréalais Rafael Lozano-Hemmer s’articulant autour de ce qui continue de nous singulariser aux frontières, notre empreinte digitale. La pièce intitulée “Pulse Index” nous incite à scanner notre index afin d’intégrer la base de données en constante évolution qui la constitue. Version collectionnable d’une installation davantage monumentale, elle pulse à la mesure des battements des cœurs de celles et ceux qui l’incarnent en fusionnant ensemble. C’est la règle : un être l’intègre qu’aussitôt un autre la quitte et l’on ignore, bien au-delà des différences, avec qui l’on fait corps. Ce dispositif résolument digital - rappelons ici que le terme digital vient du latin “digitalis” pour doigt - a une véritable portée symbolique, si ce n’est politique, à l’ère des intolérances les plus extrêmes induisant ici et là de part le monde que l’on renforce des frontières pour encore souligner nos différences.

clearSous assistance

Ad.lib

Michele Spanghero,
“Ad.lib”, 2016.

clearDans les allées d’Art Brussels, il est un son répétitif qui, indéniablement, nous attire sur le stand de la galerie Mazzoli de Berlin. C’est le son de la respiration assistée d’un orgue que l’artiste italien Michele Spanghero a interconnecté à une machine provenant du milieu hospitalier : un respirateur artificiel. Le souffle de la machine, littéralement, insuffle vie aux quelques tuyaux qui composent l’orgue jouant un requiem sans début ni fin. D’où le titre de cette installation sonore : “Ad.lib”. C’est-à-dire que la musique symbolisant le temps infini qui précède l’après peut, ou doit être, jouée “Ad libitum”, donc jusqu’à une totale satisfaction. Mais de qui ? Du public qui, pourtant, jamais ne se lassera de ce qui exprime la vie, quand bien même elle ne tiendrait qu’à un artifice ! Un simulacre de vie dont le rythme nous est extrêmement familier. A moins, en ce contexte, d’y voir ou plutôt d’y entendre la mise sous assistance de l’art par un marché globalisé dont on sait la position dominante jusqu’au sein des institutions muséales internationales.

clearFait divers

Pandinus Dictator

Caroline Delieutraz,
“Pandinus Dictator”,
2015-2017.

clearC’est un fait divers qui est à l’origine des pièces que Caroline Delieutraz a rassemblées au sein du solo show que la galerie parisienne 22,48 m2 lui organise à Bruxelles. L’histoire remonte à la fin de l’année 2015 quand 119 scorpions de l’espèce “Pandinus Dictator” - c’est aussi le titre de la série - sont saisis par les douanes de l’aéroport de Roissy. L’artiste française en a dressé l’inventaire par la photographie en leur associant des diagrammes de compétences. Comme pour insister sur leur valeur, bien au-delà du marché de l’art, auprès de collectionneurs peu scrupuleux. Ces arachnides sont également fragiles, puisque leur espèce est protégée, qu’ils inspirent le danger par leur venin. Sans omettre que leur extrême résistance aux radiations nous est presque suspecte. Les degrés d’aptitudes nous donnant les diagrammes qui leur sont associés ajoutent au caractère mystérieux de ces animaux d’un autre temps puisqu’ils convoquent à la fois le monde du jeu et celui de l’entreprise au travers de la notion de parcours. C’est, à ce propos, du Cameroun que provenaient ces scorpions qui, en exposition, font œuvre de la décontextualisation qui en menace l’espèce.

clearCollage

Pixel-Collage

Thomas Hirschhorn,
“Pixel-Collage”, 2015,
courtesy Chantal Crousel.

clearQuittons maintenant Tour & Taxis pour nous rendre au centre d’art contemporain le Wiels où l’exposition intitulée “Le musée absent” rassemble quelques œuvres de la série “Pixel-Collage” de Thomas Hirschhorn. Ce dernier y associe des photographies de mode avec des images d’actualité en créant, par l’abstraction des pixels, d’étranges transitions. Mais ce sont les photographies de mode symbolisant pourtant l’idée d’une relative perfection qui, très largement, sont pixélisées alors que les corps mutilés par la terreur ou la guerre ne le sont pas. Ce travail de l’artiste suisse ne laisse personne indifférent. Et c’est bien au-delà de l’horreur que son discours prend forme. Lorsque l’on se demande pourquoi il nous présente ce qui d’ordinaire nous est dissimilé. Il y a, en effet, et peu importe les médias, des instances ou autorités qui décident de ce qui peut ou doit nous être révélé. La question étant de savoir qui peut s’arroger ce droit de nous préserver de l’horreur ? Surtout lorsque nous savons que c’est, parfois, à la vue de telles images insoutenables qu’il est des organisations ou gouvernements pour s’impliquer enfin sous la pression d’opinions publiques avisées.

clearPliage

Folding

Lawrence Malstaf,
“Folding”, 2016-2017.
clearDans nos machines, le pixel est aux images ce que le polygone est aux objets. Or, ce dernier est au centre de la proposition que nous fait Lawrence Malstaf au sein de l’exposition “Où sont les sons ?” du centre d’art contemporain Centrale. Sa série de sculptures cinétiques qui s’intitule Folding, pour plier en anglais, nous incite à considérer la proximité évidente qu’il y a entre les pratiques traditionnelles du pliage et celles, plus récentes, de la modélisation tridimensionnelle. Mais les pièces de cet artiste flamand sont à même de se mouvoir. Aussi, l’objet que l’on croyait reconnaître malgré un nombre restreint de facettes en devient possiblement un autre. L’équilibre des forces, chez cet artiste ayant été formé au design industriel, est une question essentielle. Ici, les mécanismes du derrière influent sur les déformations du devant comme des articulations en mouvement sur une peau en tension. Entre l’inerte et le vivant, il y a les mouvements que seule la mathématique saurait anticiper ou expliciter. Cette même mathématique, science de l’abstraction par excellence, qui est commune au calcul par l’humain des pliages comme à celui, par les machines, des objets.

clearPar téléphone

Art ByTelephone - Ten stops on a straight 5 mile road

Jan Dibbets,
“Art ByTelephone
- Ten stops
on a straight
5 mile road”,
1969.
clearLa Société, dans le quartier de Molenbeek, est une plate-forme d’exposition où, durant Art Brussels, sont présentées quelques œuvres de protocoles résolument conceptuelles. Notons, parmi celles-ci, la réactivation d’une pièce que Jan Dibbets a initialement conçue pour l’exposition “Art By Telephone” du Museum of Contemporary Art de Chicago en 1969. Son titre, “Ten stops on a straight 5 miles road”, nous renseigne sur le protocole à suivre, à savoir : prendre dix photographies sur une route droite de huit kilomètres. Mais le monde a changé et l’on ne peut plus guère s’arrêter le long des routes ou autoroutes sachant que de telles images existent déjà au sein de la base de données du dispositif photographique de Street View. Aussi, c’est avec l’accord de l’artiste néerlandais que Manuel Abendroth, Grégory Lang et Els Vermang, curateurs de l’exposition “Modus Operandi”, les en ont extraites pour qu’enfin elles fassent œuvre. C’est ainsi que le protocole est respecté même si la voiture de l’appareil de Google n’a marqué aucun arrêt et l’Internet, dans ce cas non isolé, a remplacé le téléphone.

clearDe la distance

Light Standard

Félicie d'Estienne d'Orves,
“ Light Standard ”, 2016.
clearEnfin, c’est dans le quartier de Saint-Gilles que l’art agency White Circle a pris place pour y présenter les œuvres d’une exposition intitulée “Alpha & Omega, Principium et Finis” comprenant notamment deux pièces de la série “Light Standard” de Félicie d'Estienne d'Orves. Travaillant avec des données fournies par la Nasa, cette artiste française a conçu des outils de mesure aux allures de mètres-étalon. Deux seulement sur sept au total, “VENUS : 2,20 A 15 MIN” et “URANUS : 2H40 A 3H”, sont exposés à Bruxelles. Mais ce que l’on observe, c’est du temps, au fil du déplacement infiniment lent d’une lumière électroluminescente tout au long des deux barres d’acier. Ou plus exactement le temps que met la lumière pour nous provenir de ces planètes qui sont à la fois si loin, à l’échelle de nos technologies spatiales, et si proches à celle de l’étendue de l’Univers. Et la vitesse extrême de la lumière que figurent des lueurs très lentement se déplaçant de renforcer l’idée de lointaines proximités.

clearArticle rédigé par Dominique Moulon, Avril 2017.


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