Saison France-Colombie

Franck Vigroux & Antoine Schmitt, Croix, 2013 – Alex Augier, _Nybble, 2016
Nonotak, Late Speculation, 2013 – Guillaume Marmin & Philippe Gordiani, Timée, 2013
Mathias Isouard, Hasard Pendulaire, 2014 – Pascal Haudressy, Heart, Brain and Lungs, 2009.

C’est dans le contexte de la saison France-Colombie pilotée par l’Institut français que l’établissement public de coopération culturelle ARCADI accompagne quelques artistes à Bogota puis Manizales. Trois performances, à Bogota, sont tout d’abord données dans le cadre d’un événement Voltaje. Avec Croix, de Franck Vigroux & Antoine Schmitt, la granulosité des sons, sans cesse, perturbe les particules de l’élément visuel qui est au centre de l’image. Dans le silence, c’est-à-dire avant comme après l’intervention de Franck Vigroux, il y a donc une croix convoquant la radicalité de Kasimir Malevitch. Mais elle s’avère, des premiers aux derniers sons, d’une extrême instabilité. Pour, littéralement, disparaître au climax de cette création alors que l’on croit reconnaître les crissements électroniques de quelques guitares électriques agonisantes. S’en suit la performance _Nybble d’Alex Augier qui est au centre de son dispositif scénique. Celui-ci, dès lors qu’il est activé, nous renvoie à une forme d’un cinéma étendu mêlant l’organique au géométrique. Quand la vitesse est revendiquée et que les sons se succédant nous évoquent le tuner d’une radio analogique que l’on manipulerait sans trop se soucier d’accrocher quelques contenus que ce soit. L’abstraction est donc de mise, jusque dans le travail du duo Nonotak s’inscrivant, sur scène, dans la prolongation d’un art cinétique enfin libéré des contraintes de tout moteur. En face-à-face et au sein d’un autre dispositif, ils jouent à Bogota ce que, eux aussi, rejoueront à Manizales. Les lumières, durant cette performance intitulée Late Speculation, parfois les dédoublent et parfois en affinent les silhouettes ayant alors les allures de radiographies. Les lumières, tout comme les sons, soulignent la structure depuis laquelle ils en opèrent la déstructuration.

A Manizales, c’est dans le cadre du Festival de la Imagen accueillant le symposium ISEA que sont présentées les œuvres des quelques autres artistes français. A l’Universidad de Caldas, une black box est investie par Guillaume Marmin avec l’installation Timée dont le son a été composé par Philippe Gordiani. Où il est opéré une forme de renversement en ce sens que le public fait face à la lumière d’un projecteur qui, dans la fumée, récrée le cône perspectif des anciens. C’est ainsi que nous sommes dans la matière image plus que face à elle. Littéralement elles nous englobent alors que les sons, nous disent les artistes, illustrent selon Platon une forme d’harmonie conséquente aux circonvolutions des planètes de notre système solaire. Quant à l’installation sonore de Mathias Isouard, elle est résolument participative puisqu’elle doit être activée par les spectatrices ou spectateurs. L’aléatoire inhérent à leurs gestualités étant une des composantes essentielles de Hasard Pendulaire alors que les timbres des sons qui en proviennent résultent d’une autre forme d’aléatoire, celui de la machine ou plus précisément de l’instrument lorsque que celui-ci s’émancipe ou se libère de la composition musicale qui s’écrit dans la durée même des instrumentistes. Enfin, le triptyque vidéo de Pascal Haudressy représentant un cœur, un cerveau et des poumons nous renvoie possiblement aux enjeux d’une nouvelle forme de surveillance. Celle de nos organes émettant des data que nos montres “intelligentes” transmettent aux serveurs des entreprises se les échangeant sans que l’on sache à qui elles appartiennent au grand désespoir du mouvement californien Quantified Self. Ou quand les technologies induisent la création d’œuvres en faisant la critique. La Biennale NEMO de 2017-2018, durant la seconde partie la saison France-Colombie, sera aussi l’occasion, cette fois-ci, de découvrir les créations numériques de quelques artistes colombiens.

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62e Salon de Monrouge

Hélène Bellenger, Sans titre (posters), 2016 – Lucie Planty, Collection particulière, 2016 – Pauline Lavogez, Gagner malheur, 2017 – Jingfang Hao & Lingjie Wang, Dans un univers où rien n’est immobile, 2015.

Au printemps à Montrouge il y a un salon qui, depuis 1955, dresse le panorama de la création contemporaine. C’est au Beffroi que l’on peut découvrir les œuvres de la cinquantaine d’artistes émergents de cette soixante-deuxième édition du Salon de Montrouge placé, depuis l’an dernier, sous la direction artistique d’Ami Barak. Ce dernier nous propose une grille de lecture au travers d’une scénographie organisée en quatre grandes parties intitulées : Elevage de poussière, Récits muets, Fiction des possibles et Laboratoire des formes. Même si, chacune, chacun, nous pouvons établir bien d’autres relations entre les créations qui nous sont proposées et nos modes de vie ou cultures entre autres expériences.

A commencer par l’installation Sans titre (posters) qu’Hélène Bellenger a extirpée de l’Internet au fil de ses recherches de couchers de soleil aux couleurs résolument saturées. Et le paysage qu’elle recompose dans l’espace de l’exposition de nous renseigner sur le protocole établi par l’artiste. Car les affiches ou posters qu’elle met en scène sont enroulées autour des rouleaux de leurs transports. Convoquant ainsi les procédés d’un art conceptuel, elle fait œuvre des fragments de paysages convenus qui n’ont ordinairement d’autre utilité que de flatter nos regards en manque d’ailleurs fantasmés.

Lucie Planty aussi a scruté l’Internet pour y retrouver les traces par l’image de tableaux spoliés durant l’occupation. Sollicitant un copiste, elle les a réactivés comme on reconstitue des scènes de crimes. De la Magdalene de sa Collection particulière, on sait peu de choses, ni vraiment la date de sa réalisation ni véritablement celle de sa disparition. Pourtant, elle est là, peinte sur du bois de peuplier, telle la conséquence de sa propre disparition. Si bien que l’on ne sait plus bien que ce l’on observe en cette époque où l’intolérance extrême conduit au vol comme à la destruction des œuvres de cultures à “éradiquer”.

Si créations œuvres s’offrent aux spectateurs, d’autres, à l’instar de Gagner malheur, résistent, au risque de se fondre dans leur environnement. Mais que dissimulent les parois d’un blanc translucide du pilier qui forment l’installation de Pauline Lavogez quand un son sourd, soudainement, nous interpelle ? Seule l’artiste sait la nature exacte du mécanisme qu’elles contiennent. De notre côté, nous n’en devinons qu’une forme de violence contenue. A moins que ce ne soit des appels, comme autant de tentatives de communiquer au-delà des mots !

Enfin, il y a ce monochrome noir, intitulé Dans un univers où rien n’est immobile par Jingfang Hao & Lingjie Wang, qu’une autre énergie perturbe. Mais celle-ci est d’une régularité absolue dans le tracé, du derrière, de cercles parfaits. Quand il convient de s’approcher pour saisir la douce vitesse de ce qui a les allures d’une lointaine comète. C’est, dans ce cas, le détail qui fait l’œuvre dans sa globalité. Un détail que l’on suit dans la durée et qui s’efface au fur et à mesure qu’il se meut dans cette obscurité évoquant l’univers que seules les machines sont à même d’explorer.

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Peter Campus

Peter Campus, Barn at North Fork, 2010. Courtesy de l’artiste
et de la Cristin Tierney Gallery © Peter Campus 2017.

Peter Campus compte parmi les incontournables pionniers des pratiques vidéo de l’art contemporain. C’est un artiste de la performance qui, pourtant, n’a jamais véritablement performé en public. Car c’est aux spectatrices et/ou spectateurs qu’il délègue la participation au sein de situations préalablement définies dans les plus extrêmes détails. C’est, littéralement, eux qu’il expose quand ils achèvent de leur présence comme de leurs jeux ses œuvres de circuits fermés que l’on qualifierait aujourd’hui d’interactives. Les dispositifs des années soixante-dix que Peter Campus présente actuellement au premier étage du Jeu de Paume sont aussi rares que les expériences qui nous sont ainsi proposées. Celles-ci opèrent comme autant d’énigmes questionnant notre perception propre. Pénétrer dans les champs délimités de ces œuvres revient à entrer dans l’image. C’est alors que nous cherchons inévitablement la ou les caméras que jamais l’artiste ne nous dissimule. Quand nous jouissons des “pièges” que ce dernier, pourtant, et avec beaucoup de bienveillance, nous a dressé dans l’usage de quelques miroirs ou de rares ralentis. Jamais nous ne savons réellement ni où ni quand nous sommes en cette société du temps réel ou immédiat. Nul ne sera surpris en apprenant que Bill Viola, dans les années soixante-dix, a été l’assistant de Peter Campus. Alors que ce dernier, en conférence au Jeu de Paume, reconnaît humblement l’influence de ses dispositifs sur les générations de celles et ceux qui n’ont cessé, par l’interaction, d’éprouver les corps dans l’espace muséal.

L’exposition se poursuit avec les documentations vidéographiques de performances dont l’étrangeté n’a rien perdu avec les années. Et puis il y a quelques photographies dont on remarquera qu’elles sont sombres, et ce, à de multiples égards. Sans omettre les quelques travaux numériques se référant tant à la peinture, par la touche, qu’au jeu vidéo, dans l’incertitude. Notons enfin l’extrême qualité des ouvrages qui accompagnent et poursuivent l’expérience de cette exposition dont la curatrice n’est autre que la théoricienne de l’art Anne-Marie Duguet. Car le coffret qu’elle publie à cette occasion rassemble le catalogue de l’exposition du Jeu de Paume, la réédition du catalogue historique d’une exposition de Peter Campus datant de 1974 et le septième opus des éditions Anarchive que l’on s’appropriera avec une tablette ou un smartphone. Car les documents d’une base de données, aux contours sans limites puisque volontairement inachevés, n’attendent que d’y être activés au travers d’une application de réalité augmentée téléchargeable. Où quand les expériences initiées au sein du lieu même de l’espace muséal se poursuivent ailleurs et autrement comme c’est déjà le cas au travers de la rubrique “Création en ligne” du site Internet du Jeu de Paume.

Article rédigé pour artpress.

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Paysages augmentés

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Grégory Chatonsky, Perfect Skin II, 2015.

L’artiste Grégory Chatonsky, qui s’adonne aussi à la théorie, se sait prolixe au point d’avoir implémenté une recherche par mots-clés à la base de données de ses œuvres documentées en ligne. Les paysages ou landscapes y sont fréquemment traités quand ceux-ci sont aussi augmentés d’interrogations portant sur notre rapport à soi, à l’autre ou au monde allant jusqu’à en envisager sa disparition. C’est ainsi qu’avec Hisland en 2008 il reconsidère ce qui, toutes et tous, nous singularise aux frontières, à savoir : son empreinte digitale dont il fait paysage. L’étendue sans limite aucune et à la topologie fortement perturbée qui nous est donnée à explorer nous renvoie par sa blancheur extrême aux glaciers sur lesquels nous savons aujourd’hui mesurer notre empreinte en négatif. Cette idée qu’une image qu’elle quelle soit, usant d’une application dédiée au design de levels ou niveaux en jeu vidéo, peut faire paysage, l’artiste la généralise en se connectant au service d’Instagram pour en extraire, en 2015, les quelque dizaines de milliers d’images de Perfect Skin II. Le paysage est tout autre, quand un nez fait péninsule et qu’un autre devient cap. Quand de la perfection des images naît une forme de monstruosité par l’excès dont les émissions de télé-réalité ont le secret. Et l’on comprend, embarqué en ce traveling sans réel début ni fin, que Grégory Chatonsky crée des contextes dont émergent ses œuvres tout en acceptant sans agir ce que l’Internet mondial, à l’instant T de telles créations, lui propose. S’intéressant plus récemment au monde ou plutôt à ses représentations surfaciques avec Neural Landscape Network en 2016, il en perturbe les vues satellites en les proposant à une intelligence artificielle émancipée des filtres du contrôle ordinaire de la pensée. Les accidents qui apparaissent au sein de cet autre traveling sans fin que le suspens d’une étrange musique étire à l’infini sont en conséquence tout particulièrement indéterminés. Ce sont des rêves de paysages qui se situent entre le photographique et le pictural et la mémoire de la surface du monde se mêle à une expérience sans être. Enfin, du monde il envisage en compagnie de Dominique Sirois sa finitude en des sculptures des poussières qu’il a patiemment élevées avec Telofossils en 2013. Où l’on devine, du dessous, les restes d’une technologie qui nous caractérise si bien dans les usages que l’on en fait. Car après avoir confié notre mémoire collective à des entreprises, ce sont nos intelligences propres que nous déléguons aux machines durant que, dans le travail de Grégory Chatonsky, il est aussi question d’une douce nostalgie contemporaine.

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Embarquement immédiat

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Cécile Babiole, Couloir Aérien, 2016 – Adrian Paci, Centro di Permanenza Temporanea, 2007 – Hiraki Sawa, Dwelling, 2002 – Audrey Martin, All Right Good Night, 2016.

Une carte d’embarquement vous est offerte à l’entrée de l’exposition Aéroports/Ville-Monde dont le propos a été confié au curateur Franck Bauchard. Ce second événement de la nouvelle équipe de la Gaîté Lyrique que dirige Marc Dondey est donc consacré au voyage. Au trafic comme aux désillusions entre autres rêves de départs ou d’arrivées. C’est ainsi que l’installation sonore Couloir Aérien de Cécile Babiole nous révèle le trafic réel des alentours de la Gaîté Lyrique. Celui, imputable aux déplacements de celles et ceux dont l’artiste ne nous dévoile que les numéros des vols, quand de leurs avions nous percevons les sons qui les incarnent parfaitement au sein du couloir aérien de leur détournement artistique. Une autre œuvre de 2007, vidéo celle-ci, nous apparaît aujourd’hui tel l’écho de quelques déclarations politiques récentes. Il s’agit de la séquence Centro di Permanenza Temporanea d’Adrian Paci qui documente une “performance d’aéroport” résolument prémonitoire. Où des hommes, d’un calme extrême, montent sur une passerelle pour s’y entasser progressivement car elle n’est accrochée à aucun avion. Attendant patiemment on ne sait quoi, ils nous rappellent que la liberté de se déplacer au-delà des frontières n’est pas universelle en cette tendance générale du repli sur soi. Aussi, il en est qui se contentent de rêves de voyage à l’instar d’Hiraki Sawa avec Dwelling. Car les avions qui décollent, s’élèvent, volent à des vitesses de croisière ou atterrissent le font dans un salon, une chambre à coucher ou une cuisine. Le ciel de l’appartement filmé est définitivement très embouteillé. Dans la tour de contrôle des rêves de l’artiste, on s’affère à gérer tout ces départs et toutes ces arrivées n’allant que d’ici à là. Enfin, sur la terrasse de la Gaîté Lyrique, il y a un drapeau le bleu d’Audrey Martin dont on suit les ondulations au vent du ciel extérieur en temps réel depuis l’espace intérieur de l’exposition. Il y est écrit : All Right Good Night car ce sont les derniers mots que le pilote du vol MH370 de la Malaysia Airlines a prononcé avant que son avion ne s’abîme en mer le 8 mars 2014. Ce qui évoque une triste réalité une fois encore. Car, qu’il s’agisse de vols réels, impossibles, fantasmés ou interrompus, les œuvres de cette exposition nous renvoient tant au monde tel qu’il est qu’à des expériences davantage personnelles.

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D’une présence médiumnique

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Pascal Haudressy, Monolithe, 2016.

Il y a, dans les tableaux de la série des Monolithes de Pascal Haudressy, une indéniable présence dont on veut continuer d’ignorer la nature exacte tant elle n’est qu’artifice, comme pour la protéger. Elles sont habitées par des lumières qui semblent provenir du derrière des châssis entoilés. Peintures à l’huile provenant possiblement d’un autre temps, elles nous annoncent pourtant l’inévitable contamination de tous les médias artistiques contemporains par le médium qui est celui de notre temps. Aux grandes révolutions industrielles correspondent des mutations en profondeur. De la vapeur qui s’exprime dans les Monolithes de Pascal Haudressy à l’usage de l’électricité, essentielle pour que la magie opère, jusqu’aux calculs par l’algorithme de ces mêmes opérations. Il y eut un temps où la photographie, que l’on qualifiait alors de spirite, était habitée comme l’est aujourd’hui la peinture de Pascal Haudressy. Et c’est par pure commodité que nous utilisons encore ce mot, peinture, bien qu’il ne suffise définitivement plus à qualifier les œuvres de la série des Monolithes de cet artiste français. Elles témoignent des rémanences de quelques phénomènes scientifiques dont seul l’art pourrait témoigner. Aussi, c’est possiblement le passé que nous observons à moins que ce ne soit un futur que seuls les auteurs ou artistes, considérant les nouvelles de Pierre Bayard, sauraient anticiper. Les présences qui habitent les œuvres de Pascal Haudressy seraient ainsi plus médiumniques qu’il n’y paraît. Sans omettre l’esthétique white cube qui peine à contenir ces étranges phénomènes ne devant en aucun cas échapper aux plus attentifs des théoriciens, critiques ou curateurs en quête de pratiques aventureuses.

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Pleureuses

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Samuel Bianchini, Pleureuses, 2016.

La Crypte de d’Orsay est actuellement le théâtre d’étranges manifestations : des Pleureuses, sur trois grands verres, apparaissent au public depuis le 17 novembre dernier. Elles font écho à cette “profession“ dont les origines remontent à l’Antiquité et que, ici et là dans le monde, quelques femmes perpétuent en pleurant pour celles ou ceux qui n’en ont pas ou plus le goût. Accrochés au plafond du soubassement d’une chapelle sépulcrale devenue espace d’exposition, des gouteurs de verre, littéralement, pleurent sur les plaques transparentes et inclinées que l’artiste Samuel Bianchini a préparées en collaboration avec le chercheur Pascal Viel du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique et aux énergies alternatives). Les surfaces, au-delà des dessins, sont “hydrophobiques“. C’est ainsi que les spectateurs, au prix de quelques contorsions, y lisent les silhouettes de celles qui pleurent sur commande là où l’artiste l’a prédéterminé. Leur présence, à toutes les trois, est des plus incertaine puisque l’énergie que se transmettent les gouttes de leurs formes les fragilise en constance. Jusqu’à l’augmentation de la flaque immobile que contiennent les composantes horizontales des œuvres. Les Pleureuses peuvent ainsi être qualifiées d’œuvres cinétiques dans la mesure où elles sont sans cesse animées de micromouvements. Ce sont aussi les spectateurs qui, dans leurs déplacements, les font apparaître selon les lumières en les extirpant de l’invisible. Quant à la “profession” qu’elles évoquent, elle nous dit l’extrême diversité de nos gestions des émotions selon les temps, dans l’histoire, comme les lieux, en ce monde qui serait moins global qu’il n’y paraît. A moins que l’on considère notre capacité à toutes et tous ou presque, et depuis si longtemps, à simuler nos tristesses et nos joies. Aujourd’hui peut-être plus encore que jamais à l’observation de nos vies théâtralisées sur les réseaux sociaux de l’Internet. Là précisément d’où proviennent les silhouettes de celles qui pleurent à Orsay pour le plus grand bonheur des visiteurs.

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In memory of me

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Stéphane Simon, In memory of me, 2016.

Après l’avoir tant proclamé, ces dernières décennies, nous le savons aujourd’hui, le digital est transversal à l’art, à la société, aux sciences, à l’industrie et au politique car, tout simplement, il est omniprésent. Les disciplines artistiques, toutes sans exception aucune, ont été révolutionnées les unes après les autres par des techniques ou technologies émergeant du numérique. Les artistes du son, très tôt, ont intégré l’électricité, puis l’électronique et enfin le code, dans le jeu comme dans la conception de leurs instruments réels ou virtuels. Et que dire des images, fixes ou animées et de toute nature qu’une industrie créative n’a cessé de reconsidérer dans son approche. Plus récemment, le temps est arrivé pour la sculpture d’être contaminée par le médium numérique dont on sait les capacités illimitées d’hybridation quant aux médias ou supports qu’il investit durablement. Les départements recherche et développement conçoivent des matériaux ou textures que de nombreux artistes convoitent et que certains s’approprient. Des machines à commandes numériques semblables à celle de l’industrie ont investi les ateliers d’artistes aux process industriels. A l’ère où toutes et tous ou presque, nous pourrions imprimer bien des objets de notre quotidien. Un quotidien que l’on le pourrait plus envisager sans smartphone, ce cordon de l’intime qui nous relie au “reste” du monde, c’est-à-dire à nos communautés. Or, c’est précisément là que se profile le travail de Stéphane Simon, dans ce rapport au monde, à l’autre et à soi qu’un objet du creux de la main a profondément modifié. Depuis quelque temps, toutes et tous, ou presque, nous sommes en capacité de capturer le monde. Mais, retournant l’appareil contre soi, nous sommes passés du “Ça a été” de Roland Barthes à l’amour que, déjà Narcisse portait à lui même.

Le digital, avec “In memory of me” est ainsi omniprésent, du sujet au process et en entrée comme en sortie. Car le modèle est “entré” dans la machine par la capture, l’analyse et la modélisation, en trois dimensions. Avant qu’une autre machine, à contrôle numérique celle-là aussi, ne fasse œuvre de cet amour que nous portons à nous-mêmes au travers d’une gestualité retournée contre soi. Une gestualité des plus contrôlée et étudiée dans ses moindres détails par les sociologues qui envisagent la société au travers de nos interactions via les médias sociaux. L’homme nu sculpté par Stéphane Simon, dans son idéal de perfection, nous revoie à la statuaire grecque alors que ses gestes convoquent les efforts immodérés que, toutes et tous ou presque, nous produisons pour réécrire en constance notre histoire comme le font les dictateurs dont on sait le narcissisme. L’acte de se mettre en scène, en cette société du spectacle et du tout numérique, étant inévitablement et au-delà du social, de l’ordre du politique. Quant à la pérennité de ces mêmes images qui, le croit-on, nous caractérisent si bien, elle est loin d’être assurée puisqu’elles se remplacent les unes les autres à des fréquences qui varient selon les âges. D’où la nécessité d’en dresser, par la matérialisation, une typologie. Pour que jamais nous n’oubliions dans le futur, dont on ne sait les usages qu’il nous réserve, à quel point nous nous sommes tant aimés.

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Panorama 18

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Baptiste Rabichon, Elle (détail), 2016 – Paul Heintz, De Façade, 2016 – Mathilde Lavenne, Artefact #o / Digital Necrophony, 2016 – Mathias Isouard,Tension dissonante #, 2016.

Au soir de l’inauguration de l’exposition annuelle des artistes émergents ou reconnus du Fresnoy, Alain Fleischer est entouré de ses amis, à commencer par son Monsieur cinéma, Dominique Païni, sans omettre les futurs curateurs des Panoramas, Jean de Loisy, et José-Manuel Gonçalvès. Aussi, on pense aux nuits blanches. Mais Laurent Le Bon, le commissaire de cette dix-huitième exposition Panorama le sait, la tâche est particulière puisqu’il n’a choisi ni les artistes ni les œuvres. Ainsi, avec une radicalité extrême, il a décidé de ne pas donner de thème particulier en se saisissant du nom de l’événement pour en faire titre, Panorama 18, comme sur le catalogue de cette exposition où émergence et excellence s’accordent à merveille.

Dans cette école de centre d’art mêlant les pratiques de l’image et du son à l’ère numérique, le cinéma, n’est jamais très loin. Comme c’est le cas dans les expérimentations par l’image de Baptiste Rabichon qui s’est confronté aux décors extérieurs des bords de mer en fabriquant lui-même son appareil, une caravane dont il a fait camera obscura. Comme au cinéma, il a anticipé sa capture en déployant, sur le rivage, la grande image en négatif d’une présence. A l’étrange étrangeté de cette marine photographique s’ajoute par conséquent la présence par l’image de celle qui, peut-être, jamais n’est venue.

Le cinéma, encore, avec le décor sans début ni fin d’une façade qui se déploie sous nos yeux. L’appareil a été conçu par Paul Heintz. On qualifie, en architecture, une façade de “rideau” lorsque celle-ci n’est que décor, donc non “porteuse”. Mais dans Paris, elle existe cette architecture et très précisément au 145 de la rue La Fayette. Quand nul ne sait ce qu’elle dissimule. Car personne, derrière cette façade, ni ne travail ni n’habite comme c’est le cas pour les villes fantômes que les décorateurs reconstituent ou imaginent avant de les mettre aux services de quelques narrations. C’est donc l’idée, le concept d’une façade, que l’artiste nous présente. Aussi, elle n’a ni début ni fin.

Une tôle métallique que l’on froisse et, au théâtre comme au cinéma, c’est un orage qui s’annonce. Mais que nous annonce cette feuille d’aluminium de grande taille que Mathias Isouard a suspendue dans l’espace de ce qui fut autrefois un dancing résonnant aux sons des instruments l’habitant ? En mode performance, elle n’annonce rien d’autre qu’elle-même. Car l’artiste l’anime des vibrations qui la traversent et participent de la composition musicale que ce dernier a écrite. Littéralement, elle danse au rythme des sons qu’elle extirpe des tréfonds de l’agitation des atomes qui la constituent.

L’industrie cinématographique, comme l’industrie musicale, est aussi affaire d’innovations se succédant. Aussi, Mathilde Lavenne en réactive une avec son dispositif ayant l’allure du phonographe inventé par Thomas Edison en 1877. Une invention qui, au début du siècle dernier, déclenchait déjà les hostilités dont celle d’un certain John Philip Sousa. Ce dernier considérant que ces “machines parlantes” allaient « ruiner le développement artistique de la musique ». C’était en 1906 et déjà la reproductibilité des œuvres d’art faisait débat. Aujourd’hui, c’est du numérique dont on débat, dans la société comme dans l’art. Et Mathilde Lavenne de nous interpeller : « Existe-t-il un Au-delà numérique ? ». Panorama 18, avec sa cinquantaine d’artistes présentés, nous propose autant d’œuvres ou points de vue sur ce qui pourrait être l’art d’un “au-delà du numérique”.

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A Day’s Pleasure

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Jérémy Gobé, A Day’s Pleasure, en collaboration avec Christian Laroche, 2014-2016.

Dans une relative obscurité, il y a cette chaise et elle est seule. Car c’est elle, cette fois-ci, qui a eu raison de celui qui en envisageait l’usage. Chaplin, en d’autres temps, s’en serait débarrassé en la passant par dessus bord à l’occasion du film A Day’s Pleasure. Mais qui ne s’est jamais acharné contre une chaise longue pliante dont on ne saisira jamais véritablement le confort d’utilisation ? L’artiste français Jérémy Gobé, en collaboration avec Christian Laroche, a donc décidé d’en accepter les caprices en la libérant enfin de ses possibles utilisatrices ou utilisateurs obstinés. Enfin seule, elle performe sous la lumière qui la magnifie. Quand le silence n’est rompu que par les sons inhérents à ses mouvements de balancier. Sans humain aucun, elle a perdu sa valeur d’usage au moment précisément où elle a fait œuvre de son autonomie. Libérée des poids qui la contraignaient, elle semble même échapper à toute forme de gravité. L’extrême souplesse de ses ondulations répondant aux contrepoids machiniques qui l’animent. Quand elle n‘est plus que légèreté et souplesse. Et que le tissu de ses voiles claque au vent de ses déplacements qui nous apparaissent totalement imprévisibles. Sa non prédictibilité constituant la qualité essentielle que jamais elle n’aura perdu. Ce qui, le temps d’une scène, exaspéra au plus haut point le personnage de Chaplin, aujourd’hui fait donc œuvre. Les temps modernes étant aussi ceux de la libération des objets qui, sans cesse, s’autonomisent davantage. Au risque, parfois, de nous exaspérer encore quand ils finissent par nous contraindre. A moins de renoncer comme le fait Chaplin en 1919, de se déconnecter si tant est qu’on puisse encore le faire. Et c’est peut-être là la part critique de l’œuvre robotique de Jérémy Gobé qui nous incite au lâcher prise que redoutent les entreprises de la prédictibilité. La chaise longue qui performera pendant la Nuit Blanche 2016 n’étant ni maître ni esclave.

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